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#5 Internationalisation des groupes familiaux

Dans leur recherche, Andrieu, Toubal et Villanueva (2024) introduisent un nouvel ensemble de données qui fusionne des informations administratives et commerciales pour examiner le comportement économique des groupes familiaux en France. Cet ensemble de données complet couvre un large éventail d’entreprises cotées et non cotées, offrant une vision unique de leurs activités commerciales et de leurs stratégies internationales.
Une contribution essentielle de cette étude est le développement d'un algorithme pour construire des groupes d'entreprises en France, en les distinguant selon des critères tels que les catégories de taille et la classification entre entreprises cotées et non cotées. Afin d’assurer une comparabilité, nous excluons les groupes étrangers et les très petits groupes de l’échantillon en raison de différences en matière de gouvernance, de financement et de limitations des données. L’échantillon final comprend 95 055 groupes, dont 0,48 % sont cotés en bourse. Nous avons couplé cet ensemble de données à des données sur mesure pour analyser comment les entreprises familiales participent au commerce et établissent une présence sur les marchés étrangers. Les données concernent uniquement les exportations et importations directes des entreprises situées en France. Aucune information n’est disponible sur le commerce indirect ou les exportations à partir d’entités basées à l’étranger.
Les résultats montrent que, bien que les entreprises familiales apportent une contribution significative à l’économie française, leur approche de l’internationalisation est souvent marquée par la prudence. Cependant, nos conclusions contrastent avec la littérature précédente : les effets varient selon la catégorie et la taille du groupe familial. Tandis que les grands groupes familiaux non cotés rencontrent certains désavantages dans le commerce international et avec leurs affiliés étrangers, ces tendances ne sont pas uniformes pour tous les groupes.
L’étude examine les mécanismes sous-jacents qui influencent les activités commerciales et les décisions stratégiques liées aux exportations, importations et à l’établissement d’affiliés à l’étranger.
Facteurs des choix en matière de commerce dans les entreprises familiales
La recherche montre de manière récurrente que les entreprises familiales sont généralement moins engagées dans le commerce international par rapport aux entreprises non familiales, plusieurs facteurs contribuant à cette tendance. Fernández et Nieto (2005) citent l’aversion au risque, les choix stratégiques et les ressources limitées comme facteurs clés. Gomez-Mejia et al. (2010) soulignent que le coût supplémentaire et la complexité de la gestion d’opérations géographiquement dispersées incitent souvent les entreprises familiales à privilégier les marchés domestiques. Arregle et al. (2017) mettent en avant l’influence du contrôle familial et du contexte institutionnel, où des facteurs comme la protection des actionnaires minoritaires et la confiance sociétale jouent un rôle crucial. De plus, la richesse socioémotionnelle (SEW), qui inclut des priorités non financières telles que la réputation et les liens émotionnels, tend à diminuer sur les marchés étrangers, conduisant à une approche plus prudente de l’expansion globale.
Commerce dans les entreprises familiales
Les graphique 1 et 2 illustrent les modèles d’engagement commercial distincts entre les entreprises familiales et non familiales. Les données montrent que parmi les groupes comptant plus de 50 employés, 35 % participent à des activités d’exportation.
Les groupes familiaux présentent généralement une performance commerciale comparable à celle des entreprises moyennes de l’économie.
En particulier, 33 % des entreprises familiales exportent, contre 39 % pour les entreprises non familiales.
Une proportion plus élevée d’importateurs est observée : 48 % des groupes importent des biens.
Parmi les entreprises familiales, 47 % des groupes sont importateurs, un pourcentage proche des entreprises non familiales (53 %).
Graphique 1. Parts des exportateurs
Graphique 2. Parts des importateurs
Source : Andrieu et al. 2014.
Contrôle et portée internationale des groupes familiaux
Le graphique 3 montre la répartition des groupes familiaux et non familiaux employant plus de 50 salariés, catégorisés selon leur engagement dans des activités de multinationales (MNE). Parmi les groupes familiaux, 81 % sont classées comme des groupes français opérant uniquement en France (GFRFRA), 15 % comme des groupes français possédant une filiale étrangère (GFRMNE), et moins de 4 % comme des groupes détenus par des étrangers (GETMNE). Cette répartition met en évidence une différence significative dans l’engagement international des groupes familiaux. Les groupes non-familiaux sont nettement plus susceptibles d’avoir une présence multinationale. À l’inverse, les groupes familiaux ont tendance à opérer exclusivement en France ou à limiter leurs activités internationales.
Les entreprises familiales sont davantage enclines à opérer exclusivement en France ou à limiter leurs activités internationales.
Le graphique souligne l’importance de prendre en compte le rôle de la propriété familiale dans la définition des stratégies internationales, car le commerce peut avoir un impact significatif sur la performance des entreprises, l’innovation et les retombées économiques.
Les entreprises familiales ont tendance à maintenir des liens plus étroits avec leur marché domestique, ce qui peut influencer leurs décisions stratégiques et leurs avantages concurrentiels différemment des entreprises non familiales qui poursuivent des engagements internationaux plus larges. Ces observations concordent avec les conclusions de Fonseca et al. (2023), montrant un fort biais domestique sur le marché du contrôle des entreprises, largement attribuable à des frictions informationnelles profondément enracinées et à des barrières comportementales/culturelles. Leur étude détaillée montre également que les barrières culturelles, en particulier les différences linguistiques, jouent un rôle crucial dans l’explication de ces tendances. Ces barrières sont particulièrement visibles parmi les entreprises familiales.
Graphique 3. Propriété étrangère et présence à l'étranger
Notes : Échantillon de groupes d’entreprises comptant plus de 50 employés. Les GET-MNE sont des groupes avec une tête de groupe étrangère et des filiales étrangères, les GFR-FRA sont des groupes français opérant uniquement en France, et les GFR-MNE sont des groupes avec une tête de groupe française et des filiales étrangères.
Sources: Andrieu et al. 2024.
Disparités commerciales et présence étrangère : une comparaison entre groupes familiaux et non-familiaux
Le Tableau 1 présente les pénalités en pourcentage subies par les groupes familiaux dans divers résultats liés à l’internationalisation.
Tableau 1. Écarts commerciaux et présence étrangère (en pourcentage)
Échantillon des groupes | ||||||
Tous | Cotés | Non-cotés | Petits | Moyen | Grand | |
Prob. d'exporter | -1 | n.s | 0,54 | n.s | n.s | -3,5 |
Exportations en valeurs | n.s | n.s | -34,2 | n.s | -31,5 | -64,1 |
Prob. d'importer | -1,1 | n.s | -1,1 | n.s | -1,5 | -4,0 |
Importations en valeurs | n.s | n.s | -19,9 | n.s | n.s | n.s |
Présence de filiales étrangères | -3,4 | n.s | -3,4 | -0,7 | -1,9 | -9,6 |
# de filiales étrangères | n.s | n.s | -17,7 | -56,2 | -45,0 | -38,1 |
Note: Les résultats proviennent de régressions de pénalités, incluant des effets fixes au niveau des secteurs d’activité à deux chiffres et des variables muettes par déciles de classes d’actifs. « n.s. » indique qu’il n’y a pas de différence statistiquement significative entre les groupes familiaux et non familiaux en termes de résultats. Les pénalités reportées sont statistiquement significatives au niveau de 1 %.
Source: Andrieu et al. 2024.
Les entreprises familiales adoptent une approche prudente du commerce international et de l’expansion à l’étranger, en privilégiant le contrôle et la stabilité sur les marchés domestiques.
Nos résultats révèlent que les effets de la propriété familiale sur l’internationalisation varient selon la catégorie et la taille. Les grands groupes familiaux non cotés subissent des désavantages dans le commerce international et avec leurs affiliés étrangers, mais ces tendances ne sont pas systématiques. Pour les groupes familiaux cotés, ainsi que pour les petites et moyennes entreprises familiales, il n’y a souvent pas de différences significatives par rapport aux groupes non familiaux. Ces résultats suggèrent que l’influence de la propriété familiale est plus nuancée, avec une aversion au risque et des stratégies financières façonnées par des caractéristiques spécifiques à chaque groupe.
Concernant la présence et le nombre d’affiliés étrangers, la faible présence internationale des groupes d’entreprises familiales se manifeste également par leur implication réduite avec des affiliés étrangers. La création de filiales à l’étranger nécessite des investissements importants et la gestion de cadres réglementaires complexes, ce qui peut être particulièrement difficile pour les groupes familiaux habitués à opérer sur des marchés domestiques familiers. Les données suggèrent que cet obstacle constitue une barrière importante, en particulier pour les groupes familiaux non cotés, où les effets négatifs sont encore plus prononcés
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Notes & Références
- Andrieu, E., Toubal, F., & Villanueva, P. (2024). Family Firms in France: Macro Impact and Micro Insights. Dauphine, Miméo.
- Arregle, J.-L., Duran, P., Hitt, M. A., & Van Essen, M. (2017). Why is family firms' internationalization unique? A meta-analysis. Entrepreneurship Theory and Practice, 41(5), 801-831.
- Fernández, Z., & Nieto, M. J. (2005). Internationalization strategy of small and medium-sized family businesses: Some influential factors. Family Business Review, 18(1), 77-89.
- Fonseca, L., Nikalexi, K., & Papaioannou, E. (2023). The globalization of corporate control. Journal of International Economics, 146, 103754.
- Gomez-Mejia, L. R., Makri, M., & Larraza Kintana, M. (2010). Diversification decisions in family-controlled firms. Journal of Management Studies, 47(2), 223- 252.